L’épidémie du Corvid-19 entraîne la fermeture des écoles ; les élèves s’instruisent à domicile. Cette manière de faire la classe est un scénario envisagé par les spécialistes des questions éducatives.
Depuis quelques années, une question turlupine certains spécialistes de l’éducation : les élèves sont-ils capables de développer une certaine autodidaxie dans l’acquisition des connaissances et des méthodes de travail ? Peuvent-ils suivre le curriculum chez eux ? Un usage efficace et judicieux des technologies peut-il conduire à la disparition de ces lieux particuliers d’apprentissage que sont les écoles ?
L’école à domicile est pratiquée de longue date en Australie ; les enfants des fermes isolées ont été instruits par la radio et la télévision avant que ne se développent les nouvelles technologies. Aujourd’hui, de nombreux parents des classes moyennes et aisées du Royaume-Uni, de Nouvelle-Zélande et d’Amérique du Nord pratiquent ce type d’éducation qu’on appelle home schooling. Les pays européens sont partagés ; tous n’autorisent pas cette éducation. Celle-ci est toutefois admise dans la plupart des pays à condition que les enfants suivent les plans d’études et réussissent les examens de fin d’année scolaire. En Suisse, fédéralisme oblige, ce sont les cantons qui acceptent ou non une scolarisation à domicile et qui en fixent les conditions et les exigences. La majorité d’entre eux admet l’apprentissage chez soi à condition que les enfants acquièrent les connaissances et compétences exigées par les curricula. Nombre d’entre eux demandent, en outre, que la personne responsable de l’instruction à domicile possède un diplôme d’enseignement.
Pourquoi instruire ses enfants chez soi ?
Les raisons les plus fréquentes relèvent de la sécurité. Les parents veulent éloigner leurs enfants des turbulences, des brimades et des violences qui règnent dans certains établissements. Ils se méfirent aussi souvent des réformes qui traversent la scolarité et redoutent qu’elles ne conduisent à une baisse du niveau de l’éducation . D’autres encore reprochent à l’école de tarir le goût d’apprendre des enfants et d’étouffer leur créativité. Ils lui font aussi le grief de nuire à la confiance que les enfants ont en eux-mêmes en ne cessant de les évaluer afin de les orienter vers les différentes filières de formation. Aux yeux de certains enfin, l’école se caractérise par son inertie ; elle s’avère incapable de s’ajuster au changement. L’école à la maison ne souffre pas de ces rigidités ; elle permet de développer de nouvelles aptitudes comme celles de la communication et du travailler en réseau.
Des pratiques et des résultats
Partout, les familles créent des associations afin d’échanger leurs expériences. Aux États-Unis comme ailleurs mais dans une moindre mesure, le home schooling devient un marché investi par des sociétés privées. Celles-ci engagent des spécialistes chevronnés et proposent des pédagogies innovantes. Les élèves, inscrits à leurs cours, affichent de très bons résultats, souvent bien supérieurs à ceux des élèves des écoles de leur quartier. Les mères sont en général celles qui supervisent l’instruction des enfants. Elles ont souvent à conjuguer tâches éducatives et travail à distance. La socialisation des enfants se fait surtout dans les clubs sportifs et de loisirs. De plus en plus de familles optent pour l’école à domicile. Cette évolution, si elle se confirme, va engendrer une éducation à deux vitesses et de nouvelles ségrégations. Sans parler d’une concurrence accrue entre secteur public et privé. Les idéaux de l’école de la République passeront à la trappe car celle-ci ne sera plus ce creuset où se mélangent les enfants de toutes conditions.
Simone Forster
Une dynamique familiale
Les adeptes de l'école à domicile prétendent que les enfants tirent un énorme profit de cette approche plus souple de l'enseignement. «Nous avons une technique d'apprentissage très efficace. Durant les premières années, ma femme suit les enfants dans leur cursus. Ensuite, ils travaillent par eux-mêmes. Petit à petit, ils parviennent à travailler de manière indépendante et à résoudre leurs problèmes... ils aiment ça», affirme Willi Villiger, dont les 10 enfants suivent l'école à domicile. «La dynamique familiale est très importante», ajoute B.A. «Les enfants se respectent et apprennent les uns des autres. Les plus âgés aident les plus jeunes. En expliquant aux autres, ils apprennent d'autant mieux. Le temps à disposition est employé à l'enseignement et non pas à la résolution de conflits. Ceci permet aux enfants de se consacrer davantage à leurs propres intérêts», dixit Willi Williger.
Perte de motivation
Willi Villiger est ravi des progrès réalisés par ses enfants. «Lorsque nous avons sorti notre fille aînée de l'école en 2001, elle avait perdu presque toute motivation par rapport à l'école. En deux ans, elle a changé son attitude face au travail et a passé ses examens de fin de scolarité dans une école privée avec d'excellentes notes.» «Ceci n'aurait pas été possible si elle était restée dans une école publique. En août, elle commencera ses études universitaires et dans six mois, mes deux fils aînés termineront également leur formation universitaire», ajoute-t-il fièrement. Quelques craintes Une des craintes les plus fréquentes, ce sont les lacunes sociales des enfants scolarisés à la maison, car ils ne sont pas confrontés aux diverses opinions qui constituent une société démocratique. «Les enfants s'en sortent mieux avec les autres enfants à l'école, où ils peuvent se mêler à leurs camarades de différentes classes sociales», affirme Anne-Marie Reymond, responsable de la supervision de 60 enfants scolarisés à domicile. «Cela peut poser des problèmes. Certains enfants sont intégrés dans des groupes en dehors de la famille et d'autres pas du tout. On remarque tout de suite ceux qui sont coupés de tout, ça peut être un souci.» Willi Villiger admet que le manque de socialisation est une des faiblesses de l'enseignement à domicile. «Il faut en être conscient et voir ce qu'il est possible de faire pour trouver une solution. C'est le devoir des parents de créer des contacts en dehors de la famille.» Cependant, les observations menées auprès d'enfants américains scolarisés à domicile montrent qu'ils ont moins de problèmes d'interaction sociale dans les jeux que les enfants des écoles publiques. Ils sont aussi impliqués dans une gamme plus large d'activités hors de la maison.
Manque de formation
Le contenu de l'enseignement est parfois aussi critiqué, la majorité des parents n'étant pas des enseignants formés. «Je trouve très discutable que des parents puissent enseigner à domicile sans aucune qualification», commente Anton Strittmatter, de l'Association suisse des enseignants, dans l'édition dominicale du quotidien germanophone NZZ. «Un diplôme d'enseignement est le seul garant d'une certaine qualité.» Mais l'époque moderne a démocratisé l'apprentissage, argumente Willi Villiger. «Si les parents sont prêts à apprendre avec leurs enfants, ils n'ont pas besoin de qualification, car aujourd'hui l'information est accessible à tout le monde. On peut trouver un très bon environnement d'apprentissage sur Internet et même du matériel didactique officiel avec un grand nombre de livres tout à fait adaptés à l'enseignement.» Malgré le fait d'avoir démarré dans l'école à domicile avec certaines craintes, Willi Villiger prétend que c'est «une des meilleures décisions» qu'il ait prise. «Nous avons une très grande unité familiale. Nous avons le sentiment d'avoir fait la route ensemble comme des pionniers.»