Tout a commencé par la rencontre de l'astrophysicien Hubert Reeves et d'un groupe d'élèves de onze à quatorze ans dans un collège de la banlieue parisienne comme tant d'autres. Rencontre aussi de trois enseignements (dessin, français, technologie) qui, au-delà des cloisons qui les isolent, ont révélé, dans leurs différences, leur complémentarité. L'aventure a duré deux ans, de 1975 à 1977. Magicien, Hubert Reeves, entrouvre les portes de l'Univers… Les enfants lui répondent par leurs questions, bientôt par leurs créations. Une équipe se crée, enthousiaste et industrieuse, on découvre le plaisir de peindre, le plaisir d'écrire. On pense, on échange, on parle. Hubert Reeves et ces enfants se sont retrouvés souvent. Plusieurs fois, tous ensemble, ils ont pris leurs repas dans la salle de classe en fête. Longues soirées conviviales qui se terminaient tard, au milieu de la cour, la tête dans les étoiles. Réalité, imaginaire se sont vite confondus… Il aurait fallu tout garder, tout enregistrer ; les élèves se sont emparés du thème sur lequel leur esprit pouvait broder à l'infini, au rythme de leur questionnement. Le Soleil, comme nous, avait donc eu une naissance et, comme nous, un jour, un jour plus long que les autres, un jour où l'on compterait sur lui, il en viendrait à mourir ? Par-derrière, à haute voix, on entendait Fabienne conclure : Alors, si j ai bien compris, quand je regarde loin, loin, très loin en arrière, la grand-mère de la grand-mère de ma grand-mère, c'est une étoile ? Hé oui… Pourquoi la Lune ne tombe-t-elle pas sur la Terre ? Pourquoi la nuit est noire ? … Pourquoi, pourquoi ? Et pourquoi les couleurs et pourquoi nous sommes là ? On peut s'étonner de voir, mêlés dans un même recueil, des images et des textes scientifiques avec des poèmes et des textes d'adolescents. Rigueur et onirisme ici ne s'opposent pas, ils se complètent et s'il y a deux approches des choses, objective et subjective, elles ne sont pas antagonistes en chacun de nous, mais complémentaires. Même confondues dans l'unité profonde de l'être. Imaginons-nous qu'il a fallu du temps, beaucoup de temps. Les dessins, les gravures, les peintures ont été créés lentement, leurs auteurs les ont mûris, fignolés… Chacune de ces ouvres est le résultat d'une réflexion, l'aboutissement d'une série de recherches, d'esquisses, de tâtonnements. Pour des raisons matérielles, nous avons dû choisir parmi des dizaines de textes et plus de cent peintures ; ils auraient tous trouvé leur place ici, c'est pourquoi nous avons décidé que tous les travaux resteraient anonymes. Que l'on ne s'y trompe pas, ces enfants ne sont pas des artistes. Du moins, s'ils le sont, c'est sans le savoir et l'enjeu n'est pas là. Les peintures choisies et les textes mis en italique ne sont là que pour témoigner d'un grand élan collectif. Certes, tout ne s'est pas fait sans difficulté. Il serait illusoire de s'émerveiller et de croire que cette expérience peut masquer, à elle seule, la misère d'un enseignement qui se meurt d'étouffement. Savez-vous qu'un professeur de dessin voit défiler dans sa classe 500 élèves par semaine ? Que dans les 4e et 3e on entasse 35 enfants vivant les déséquilibres de l'adolescence et qu'on voudrait les amener à créer (c'est-à-dire, avant tout, émerger d'eux-mêmes) à raison d'une heure hebdomadaire ? Dans de telles structures, notre aventure était d'avance vouée à l'échec. Pour aboutir, il a fallu bousculer les cadres établis, ignorer les horaires. Il a fallu beaucoup de patience, d'acharnement et d'enthousiasme. Le malaise des jeunes ne vient-il pas en partie de ce qu'ils sont privés d'imaginaire ? Obscurément, nous dit Pierre Emmanuel, ils pressentent que leurs années d'apprentissage devraient être des années de création, de création d'eux-mêmes dans leur milieu. Sans pouvoir le dire, parce qu'ils sont formés pour l'oublier, ils se sentent frustrés d'un trésor devenu inaccessible : l'esprit d'enfance, de jeu, la puissance naturelle d'expression. Ils se voient fabriqués en série et ils en souffrent. Plus tard, adultes, ils s y résigneront, ils mourront jeunes à la plus grande réalité humaine prisonniers et esclaves d'un réel étriqué. S'il n'y avait pas eu un éditeur courageux pour prendre le risque, jamais ce livre un peu hors normes n'aurait vu le jour. Quant à nous, en acceptant de publier ces textes et ces peintures, nous voudrions montrer que la source est là, qui ne demande qu'à jaillir. Nous devons ce livre à l'enthousiasme de tous. Soleil, ce fut surtout de la joie, un peu de lumière et de couleurs dans le gris des jours scolaires. Il suffirait de peu, peut-être, pour que l'école soit, pour tous les enfants, un moment privilégié de la vie.
Jacques Very
J'écrivais cela en 1976… Qu'en est-il aujourd'hui ? L'enseignement du dessin est devenu enseignement des arts plastiques. Cela suppose un changement de regard, une autre pensée, des énergies et des pratiques nouvelles. Certes, grâce à des volontés réformatrices, l'ouverture est encouragée et il est plus facilement possible, aujourd'hui, de nouer des partenariats, car les structures existent. Mais, faute de moyens et de soutien aux initiatives, le quotidien reste le plus souvent docile, voire précaire. Les enfants du Soleil de 1975 ont tous dépassé la quarantaine (Hélène est devenue éditrice… Jacqueline enseigne les mathématiques… Félicie est ingénieur… Fabienne vit à Florence, elle y fait des livres pour les enfants, etc.) et il arrive à Hubert de s'entendre appeler dans le hall d'un aéroport au bout du monde… C'est l'un ou l'une de ces quatre-vingts collégiens qui se souviennent qu'un jour il leur avait agrandi l'espace. Alors, on revient à l'immense image : Plusieurs milliers d'amas de galaxies Des milliers de galaxies dans un amas Des centaines de milliards d'étoiles dans une galaxie Un Soleil… et nous sommes là. Il est temps d'ouvrir le livre.